Les formes plates, un texte de Delphine Alleaume à l'occasion de l'édition d'un document sur cette série de céramiques


Ce que nous voyons, touchons ou pensons, est lié aux formes et aux couleurs qui affectent tous les
mouvements de la vie humaine. Quand l’artiste s’en saisit de la plus libre des façons, comme le fait Flavie Cournil, son œuvre exerce alors une profonde empreinte sur notre vie.
Flavie Cournil puise des formes, reflets de la réalité, qui vont trouver une place dans le monde matériel qu’elle façonne. Dérivées de l’architecture ou d’objets qui nous sont familiers, elle utilise un vocabulaire connu de tous. Jamais spectaculaire, d’une infinie simplicité, l’artiste propose avec ces formes un rapport d’égalité entre elles et ceux qui les regardent, dans un langage accessible à tous ceux qui maintiennent leurs sens en éveil.
Avec ces plaques de céramique - de la porcelaine pour la majorité d’entre elles - recouvertes de couleurs, Flavie Cournil joint aux perceptions visuelles des perceptions tactiles. Elle nous dit tenter d’utiliser les matériaux de la sculpture pour mettre à distance la peinture, qu’elle cherche et défie pourtant sans relâche. Avec ces supports, jamais vraiment plats, sur lesquels elle pose des aplats de couleurs faits de gestes rapides, plutôt spontanés, l’artiste se confronte à un jeu de forces qui produit toute l’intensité de la puissance créatrice.
La présence visuelle de ces formes fondues dans la couleur est forte. Ce qui préfigure l’œuvre chez Flavie Cournil s’apparente à l’ennui ou la rêverie. Tous ces petits dessins que l’on fait pour s’échapper de temps en temps. À l’intérieur d’une forme rectangulaire ou triangulaire, grâce à la couleur, elle construit des espaces. Nous comprenons et ressentons physiquement l’espace grâce à ces formes. Certaines d’entre elles naissent de l’aléatoire de la cuisson. Même si quelques plaques cassent en cuisant, « parfois ça marche et parfois pas », mais c’est une étape importante, car des formes naissent, des réactions auxquelles l’artiste ne s’attend pas surgissent. Comme des espaces ou des mondes imaginaires dans lesquels il serait possible de vivre. Ce sont les limites du matériaux porcelaine, les volumes de la sculpture et les gestes de la peinture, avec les effets et concordances de couleurs qui, mis en tension, crée une unité. Sa peinture a un rapport direct avec la réalité de la matière et de la technique. Dans sa peinture, l’objet n’est jamais nié. Et c’est ce qui donne vie et mouvement à l’ensemble de ses pièces.
Flavie Cournil aime l’idée du bricolage, « avoir des petites choses à faire ». Une forme de vie dans l’action. Et il faut toujours ajuster, c’est comme avec les êtres humains. Ce n’est peut-être d’ailleurs qu’une histoire d’agencements, mais sans protocole établi qui ferait que les œuvres seraient le résultat d’une série d’actions. Il n’y a pas plus que ce qu’il doit y avoir, pas de brillance, pas de surplus. Comme l’équivalent sensible d’une idée, cela fonctionne ou pas. Et la mobilité des formes, les nuances, le mouvement font le reste.
Au-delà d’une dimension purement formelle, l’œuvre de Flavie Cournil, aux allures de simplicité, surgit d’une technique, qui sous des airs faussement maladroits, est en fait parfaitement maîtrisée. D’une grande ténacité, Flavie Cournil nous fait éprouver et percevoir l’essentiel, elle embrasse la réalité physique et sensible du spectateur tout autant que la sienne. Son œuvre inclut la temporalité et l’unité de différentes formes d’arts et c’est ce qui nous touche. Une seule tache de couleur peut donner de l’émotion, dit-elle. « C’est comme les êtres, on ne sait pas pourquoi, certains nous touchent, d’autres pas. »

Delphine Alleaume